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December 7, 2023 05:39
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Monica Lewinsky - le prix de la honte | |
Shame Cannot Survive Empathy | |
https://www.ted.com/talks/monica_lewinsky_the_price_of_shame/transcript?subtitle=fr | |
https://www.youtube.com/watch?v=H_8y0WLm78U | |
Vous êtes face à une femme qui ne s'est pas exprimée | |
en public pendant dix ans. | |
Comme vous le voyez, ça a changé, | |
mais c'est tout récent. | |
Ce n'est qu'il y a quelques mois | |
que j'ai donné ma première conférence en public, | |
au sommet Forbes 30 Under 30: | |
1 500 personnalités brillantes de moins de trente ans. | |
Ce qui voulait dire qu'en 1998, | |
les plus âgés du groupe avaient 14 ans, | |
les plus jeunes, juste quatre. | |
J'ai plaisanté en disant qu'ils avaient peut-être entendu parler de moi | |
dans des morceaux de rap. | |
Oui, je suis dans des morceaux rap. | |
Quelque quarante morceaux. (Rires) | |
Mais ce soir-là, il s'est passé | |
quelque chose de surprenant. | |
A 41 ans, je me suis fait draguer par un gars qui en avait 27. | |
Dingue, je sais. | |
Il était charmant, j'étais flattée, | |
et je l'ai éconduit. | |
Parce que sa malheureuse approche était... | |
qu'il pouvait me faire retrouver mes 22 ans ! | |
(Rires) (Applaudissements) | |
Plus tard, je me suis rendu compte que je devais être la seule quadra | |
à ne pas vouloir avoir de nouveau 22 ans. | |
(Rires) (Applaudissements) | |
A 22 ans, je suis tombée amoureuse de mon patron. | |
A 24 ans, | |
j'en ai souffert les conséquences dévastatrices. | |
Je voudrais voir lever la main à ceux | |
qui n'ont pas commis d'erreur à 22 ans ? | |
Je m'en doutais... | |
Donc, comme moi, certains d'entre vous ont pris le mauvais chemin, | |
sont tombés amoureux de la mauvaise personne, | |
peut-être même de leur patron. | |
Mais le vôtre n'était probablement pas, comme le mien, | |
le président des États-Unis. | |
Quoique, on ne peut jurer de rien... | |
Il ne se passe pas un jour sans qu'on me rappelle mon erreur, | |
que je regrette profondément. | |
En 1998, après avoir été entraînée dans une romance improbable, | |
j'ai été entraînée dans un ouragan légal, politique et médiatique | |
comme on n'en avait jamais vu. | |
Rappelez-vous, quelques années en arrière, | |
on apprenait les infos par seulement trois sources : | |
la presse écrite, | |
la radio, | |
la télévision. | |
C'était tout. | |
Mon destin était autre. | |
Le scandale vous a été servi | |
par la révolution numérique, | |
grâce à laquelle on pouvait suivre l'actu | |
quand et où on voulait. | |
Et quand le scandale a éclaté, en janvier 1998, | |
il a éclaté en ligne. | |
Pour la première fois, les médias traditionnels | |
étaient devancés par l'Internet sur une affaire d'envergure, | |
un simple clic qui s'est répercuté partout dans le monde. | |
Pour moi, cela a impliqué | |
passer du jour au lendemain, | |
de l'anonymat absolu à l'humiliation internationale. | |
J'étais le patient zéro de la perte de réputation | |
instantanée à l'échelle mondiale. | |
Les jugements hâtifs, facilités par la technologie, | |
ont poussé les foules à me lapider virtuellement. | |
Certes, c'était avant les réseaux sociaux, | |
mais on pouvait déjà commenter en ligne, | |
envoyer par e-mail des articles et bien sûr des blagues cruelles. | |
La presse utilisait mon image à tout bout de champ | |
pour vendre des journaux, des bandeaux publicitaires, | |
et garder l'audience collée à la télé. | |
Vous rappelez-vous, concrètement une photo de moi, | |
où je portais... un béret ? | |
J'admets avoir commis des erreurs, | |
notamment en portant ce béret. | |
Mais l'attention, les jugements portés sur moi - pas sur les faits, | |
ceux que j’ai personnellement reçus, étaient sans précédent. | |
On m'a traitée de traînée, | |
pétasse, salope, pute, bimbo, | |
et bien sûr, | |
j'étais « cette femme ». | |
Tout le monde me regardait, | |
mais très peu me connaissaient en réalité. | |
Je comprends : c'était facile d’oublier | |
que « cette femme » était réelle, | |
avait une âme, et avait autrefois une vie à elle. | |
Quand cela m'est arrivé il y a 17 ans, il n'y avait pas un nom pour ça. | |
A présent, on parle de cyberintimidation et de harcèlement en ligne. | |
Aujourd'hui, je veux partager une partie de mon expérience, | |
parler de la façon dont elle a façonné mes observations sociétales | |
et de comment j'entends mettre mon vécu | |
au service d'un changement | |
qui empêchera que d'autres souffrent. | |
En 1998, j'ai perdu ma réputation et ma dignité. | |
J'ai presque tout perdu, | |
j'ai failli même perdre la vie. | |
Laissez-moi décrire une scène : | |
septembre 1998, | |
je suis assise dans un bureau sans fenêtre | |
au Bureau du Procureur Indépendant, | |
sous l'éclairage des néons bourdonnants. | |
J'écoute le son de ma propre voix, | |
sur des bandes magnétiques enregistrées sournoisement | |
l'année précédente par une soi-disant amie. | |
J'y suis parce que j'ai l'obligation légale | |
d'authentifier personnellement les vingt heures d'enregistrements. | |
Pendant les huit mois précédents, le mystérieux contenu de ces bandes | |
pendait sur ma tête comme une épée de Damoclès. | |
Qui se rappelle une conversation vieille d'un an ? | |
Effrayée et mortifiée, j'écoute, | |
je m'écoute raconter les anecdotes de la journée, | |
je m'entends avouer mon amour pour le Président, | |
et bien sûr, mon chagrin. | |
Je m'écoute être parfois vache, parfois vulgaire, ou bête, | |
cruelle aussi, implacable, méchante... | |
J'écoute, honteuse, très honteuse, | |
la pire version de moi, | |
un « moi » que j'ai du mal à reconnaître. | |
Quand le rapport Starr est remis au Congrès, | |
les bandes et leur transcription, tous ces mots volés, en font partie. | |
C'était déjà assez terrifiant que les gens puissent les lire, | |
mais quelques semaines plus tard, | |
les bandes passaient à la TV, | |
des passages considérables se retrouvent sur Internet. | |
L'humiliation publique était une torture. | |
La vie, presque insupportable. | |
Ce n'était pas quelque chose qui arrivait habituellement en 1998. | |
Je veux dire, on ne volait pas comme ça les propos, actions, | |
conversation ou photos privés des gens, | |
pour les publier ensuite, | |
sans leur consentement, | |
sans les remettre dans le contexte, | |
et sans aucune pitié. | |
Avance rapide sur douze ans. On est en 2010, | |
les réseaux sociaux sont nés. | |
Les cas comme le mien sont, malheureusement, | |
beaucoup plus courants, | |
que les gens aient fait quelque chose ou pas, | |
et cela affecte aussi bien les célébrités que le citoyen lambda. | |
Les conséquences pour certains ont été terriblement néfastes. | |
Je parlais au téléphone avec ma mère | |
en septembre 2010, | |
on discutait à propos | |
de l'étudiant de première année à l'Université de Rutgers | |
Tyler Clementi. | |
Tyler, sensible, doux, créatif, | |
avait été filmé à son insu | |
par son camarade de chambre | |
alors qu'il embrassait un autre garçon. | |
La cybersphère s'est emparée de l'incident | |
et le persiflage et le harcèlement en ligne se sont déchaînés. | |
Quelques jours plus tard, | |
Tyler sautait du George Washington Bridge | |
et mourait. | |
Il avait 18 ans. | |
Ma mère était très affectée par le drame de Tyler et de sa famille, | |
en proie à un chagrin | |
qui m'échappait, | |
jusqu'à ce que je comprenne, finalement, | |
qu'elle revivait 1998, | |
la période où elle passait chaque nuit à mon chevet, | |
où elle ne me laissait pas fermer la porte de la salle de bains, | |
la période où elle et mon père craignaient | |
que l'humiliation ne me tue | |
littéralement. | |
Aujourd'hui, trop de parents | |
n'ont même pas la chance d'essayer de sauver leurs enfants. | |
Trop nombreux sont ceux qui apprennent leur souffrance | |
quand il est trop tard. | |
La mort tragique et absurde de Tyler a marqué un tournant pour moi. | |
Elle a servi à remettre en contexte mes expériences. | |
J'ai commencé à observer l'humiliation à notre époque, | |
et à voir quelque chose de différent. | |
En 1998, on ne pouvait savoir où cette invention incroyable, | |
l'Internet, allait nous mener. | |
Depuis, le Web a connecté des gens des façons les plus incroyables, | |
réunissant des frères perdus de vue, | |
sauvant des vies, lançant des révolutions, | |
mais le côté néfaste - le harcèlement, la lapidation verbale que j'ai subis- | |
s'est démultiplié. | |
Chaque jour, en ligne, des gens, des jeunes surtout | |
qui n'ont pas eu le temps de mûrir assez pour gérer ça, | |
sont victimes d’abus, humiliés à tel point | |
qu’ils n’imaginent pas vivre un jour de plus, | |
et certains, tristement, n'y arrivent pas. | |
Et il n'y a rien de virtuel là-dedans. | |
ChildLine, organisation britannique à but non lucratif pour les jeunes, | |
a publié l'année dernière des statistiques glaçantes : | |
entre 2012 et 2013, | |
il y a eu une augmentation de 87 % | |
d'appels et e-mails concernant le cyberharcèlement. | |
Une méta-analyse faite aux Pays-Bas, | |
montre que pour la première fois, | |
la cyberintimidation éveillait plus de pensées suicidaires | |
que le harcèlement « classique ». | |
Aussi, j'ai été choquée, pourtant j'aurais dû le savoir, | |
par une étude de l'année dernière | |
montrant qu'on ressent l'humiliation plus intensément | |
que le bonheur ou même la colère. | |
La cruauté n'a rien de nouveau, | |
mais sur le Web, les brimades amplifiées par la technologie | |
n'ont pas de limites et sont accessibles en permanence. | |
Avant, l'écho de la honte s'arrêtait aux limites de la famille, | |
de l'école, du village, de la communauté. | |
A présent, la limite, c'est le Web. | |
Des millions de gens, souvent anonymes, | |
peuvent te poignarder avec leurs mots, la douleur est insoutenable. | |
Et il n'y a pas de clôture pour limiter le nombre de personnes | |
qui peuvent vous observer | |
et vous mettre au pilori. | |
Il y a un prix très personnel à payer | |
pour l'humiliation publique, | |
et l'essor d'Internet a multiplié ce prix. | |
Depuis deux décennies, | |
on sème les graines de l'humiliation et la honte publiques | |
dans notre sol culturel, aussi bien en ligne qu'ailleurs. | |
Sites de ragots, paparazzis, télé-réalité, politique, | |
médias et parfois hackers font de la honte leur fonds de commerce. | |
Cela a mené à la désensibilisation, à la permissivité en ligne, | |
qui a mené aux insultes, aux violations de vie privée, | |
au cyberharcèlement. | |
Ce changement a produit ce que le Pr Nicolaus Mills appelle | |
la culture de l'humiliation. | |
Quelques exemples juste sur les six derniers mois. | |
Snapchat, cette appli utilisée surtout par des jeunes | |
où les messages sont censés avoir une durée de vie | |
de seulement quelques secondes. | |
Vous pouvez imaginer le genre de contenu qu'on y trouve. | |
Une appli tierce servant à garantir la courte durée de vie | |
des messages, a été hackée, | |
et cent mille conversations, images et vidéos privés ont filtré, | |
et resteront accessibles en ligne pour toujours. | |
Les comptes iCloud de Jennifer Lawrence et d'autres stars ont été piratés, | |
et des photos privées déshabillées ont été diffusées sur Internet | |
sans leur autorisation. | |
Un site people a atteint 5 millions de clics, | |
grâce à cette histoire. | |
Que dire du piratage de Sony Pictures ? | |
L'attention s'est portée surtout | |
sur les mails privés à potentiel embarrassant maximal. | |
Mais dans cette culture de l'humiliation, | |
il y a un autre prix attaché à l'humiliation publique. | |
Un prix qui ne mesure pas les coûts pour la victime, | |
le prix que Tyler et d'autres, | |
notamment des femmes, des minorités, | |
des membres de la communauté LGBT ont payé, | |
et ce prix est le profit pour ceux qui pillent leurs vies. | |
La razzia sur les autres est une matière première, | |
utilisée avec une efficacité impitoyable pour être emballée et vendue à profit. | |
C'est un nouveau marché, où l'humiliation est un produit | |
et la honte, une industrie. | |
La monnaie d'échange ? | |
Les clics. | |
Plus grande est la honte plus nombreux sont les clics. | |
Plus nombreux sont les clics, plus l'argent est engrangé via la publicité. | |
Un cycle très dangereux. | |
Plus on clique sur ce genre de contenus, | |
plus notre indifférence aux vies des concernés grandit, | |
et quand l'indifférence grandit, le nombre de clics aussi. | |
Entre-temps, certains se remplissent les poches, | |
sur la douleur des victimes. | |
Quand on clique, on fait un choix. | |
Si on laisse se banaliser l'humiliation publique, | |
elle semblera plus acceptable, | |
et incitera au cyberharcèlement, | |
les insultes, certains piratages et l'intimidation en ligne. | |
Pourquoi ? Parce l'humiliation est au cœur de ces pratiques. | |
Ce comportement est un symptôme de la culture qu'on a créée. | |
Juste pensez-y. | |
Un changement de comportement | |
naît avec un changement dans les croyances. | |
Nous l'avons vu avec le racisme, l'homophobie, | |
et plein d'autres préjugés tout au long de l'histoire. | |
Le changement des principes sur le mariage homosexuel, | |
a permis à un plus grand nombre de jouir des droits fondamentaux. | |
La prise de conscience écologique | |
a poussé plus de gens à recycler. | |
En ce qui concerne la culture de l'humiliation, | |
nous avons besoin d'une révolution culturelle. | |
Il faut arrêter cette mise à mort qui est le cyberharcèlement, | |
une intervention s'impose, sur Internet et dans la société. | |
La mutation commence avec quelque chose de simple, | |
ce qui ne veut pas dire facile. | |
Nous devons revenir aux valeurs de compassion et empathie. | |
Il y a un déficit de compassion, une crise de l'empathie en ligne. | |
Brené Brown, une chercheuse, a dit : | |
« La honte ne survit pas à l'empathie. » | |
La honte ne survit pas à l'empathie. | |
J’ai vécu des jours noirs dans ma vie, | |
et c'est grâce à l'empathie et la compassion | |
de ma famille et de mes amis, des professionnels qui m'ont aidée, | |
et parfois des inconnus, qui m'a sauvée. | |
L'empathie d'une seule personne peut tout changer. | |
La théorie de l'influence minoritaire | |
du psychologue social Serge Moscovici | |
dit que, même en petit nombre, | |
lorsqu'on persévère, | |
on peut créer le changement. | |
On peut favoriser l'influence minoritaire | |
sur Internet si on tient nos positions. | |
Tenir nos positions implique ne pas observer passivement | |
mais poster un commentaire positif ou dénoncer une situation de harcèlement. | |
Croyez-moi, un commentaire aimable aide à abattre la négativité. | |
On peut contrecarrer cette tendance en soutenant des organisations | |
qui s'occupent de ces questions, | |
comme la fondation Tyler Clementi aux États-Unis, | |
Anti-Bullying Pro au Royaume-Uni, | |
ou Project Rockit en Australie. | |
On parle beaucoup du droit à la liberté d'expression, | |
il faudrait parler davantage | |
de la responsabilité qui accompagne ce droit. | |
Nous voulons tous être entendus, | |
mais on doit faire la différence entre parler à bon escient | |
et dire n'importe quoi pour attirer l'attention. | |
Internet est l'autoroute de l'inconscient primitif, | |
mais montrer de l'empathie en ligne bénéficie à tous | |
et aide à créer un monde meilleur et plus sûr. | |
Nous devons communiquer en ligne avec compassion, | |
suivre la presse avec compassion, | |
cliquer avec compassion, | |
nous mettre juste dans la peau de la personne qui fait les gros titres. | |
Je voudrais finir sur une note personnelle. | |
Au cours de ces derniers mois, | |
la question qu'on m'a le plus posée c'est « pourquoi ? ». | |
Pourquoi maintenant ? Pourquoi sortir du bois maintenant ? | |
On peut lire l'arrière-pensée derrière la question, | |
mais ma réponse n'a aucun rapport avec la politique. | |
Ma réponse est, et reste, qu'il était temps : | |
temps de cesser de prendre des pincettes avec mon passé, | |
temps d'arrêter de vivre dans la honte, | |
temps de me réapproprier mon histoire. | |
Il ne s'agit pas juste de sauver ma peau. | |
Quiconque subissant la honte et l'humiliation publiques, | |
doit savoir quelque chose : | |
on peut survivre, | |
je sais que c'est dur, | |
ce ne sera ni indolore, ni rapide, ni facile, | |
mais si on s'accroche, on peut changer la fin de l'histoire. | |
Traitez-vous avec compassion. | |
On mérite tous la compassion, | |
et vivre dans un monde plus compatissant | |
aussi bien en ligne que dans la réalité. | |
Merci pour votre attention. | |
(Applaudissements) | |
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